Si vous avez mal au dos depuis longtemps, vous avez peut-être le sentiment d'être bloqué dans un cercle vicieux. Quoique vous fassiez, la douleur est toujours là. Peut-être même qu'elle prend de plus en plus de place dans votre vie.
Votre façon de réagir à la douleur ou de vivre avec a évolué au fil du temps, comme la relation que vous entretiendriez avec un vieil ennemi. Certains réflexes sont devenus tellement automatiques qu'il est difficile de les repérer.
Dans cet article, nous allons voir ensemble trois idées importantes qui sont véhiculées par une approche récente en psychologie : la thérapie d'acceptation et d'engagement (ACT).
Cet article aurait été beaucoup trop long si j'avais développé toutes les nuances possibles. Je vous invite à réagir dans les commentaires (y compris s'il s'agit d'une critique) afin que nous puissions enrichir cet article.
La lutte contre nos propres expériences intérieures
Nous pouvons tous nous accorder sur le fait que la douleur est désagréable et que nous n'aimons pas la ressentir. La première chose qui nous vient en tête lorsque l'on ressent de la douleur pourrait être : "Comment faire pour que cela s'arrête ?". Les émotions et les pensées associées à la douleur peuvent être tout autant inconfortables : frustration, peur, anxiété, insatisfaction, etc.
Est-ce qu'il vous arrive de vous engager dans une guerre sans merci contre la douleur et ses alliées ? Après tout, on souhaite la faire disparaître : il faut bien faire des efforts pour cela, n'est-ce pas ?
Le monde extérieur et notre monde intérieur fonctionnent très différemment.
Dans le monde extérieur, on peut bien souvent changer quelque chose qui ne nous convient pas. Vous n'aimez pas votre décoration ? Vous pouvez en changer. Votre manteau n'est plus à votre goût ? Vous pouvez en racheter un nouveau. Votre ordinateur ne fonctionne plus assez bien ? Vous pouvez le remplacer.
Dans le monde intérieur, plus on cherche à éliminer une pensée ou une sensation, plus elle risque de revenir, parfois en plus fort !
Un exemple dans la vie quotidienne : une situation vous embarrasse en public, vous vous mettez à rougir. Vous le remarquez, et vous détestez cela ! Personne ne doit vous voir rougir, ce serait une honte dans cette situation.
Paradoxalement, en essayant à tout prix de ne plus rougir, vous finissez par devenir encore plus rouge. Pour couronner le tout, vous n'avez même pas pu suivre ce que viennent de dire vos interlocuteurs.
On retrouve le même phénomène avec la douleur : vous ressentez une douleur au dos et vous pestez intérieurement : "Et voilà, encore cette douleur. Elle va me pourrir ma journée".
Votre corps comprend qu'il se passe quelque de suspect et décide alors d'écouter avec attention ce qu'il se passe. La douleur prend alors de plus en plus de place en vous et chaque tentative de contrôle accentue cela.
Chercher à contrôler nos pensées, nos émotions et nos sensations est épuisant. Force est de constater que nous n'y parvenons pas vraiment. Afin de ne pas se faire hameçonner systématiquement, il devient important de réfléchir à la notion d'acceptation.
Qu'est-ce que l'acceptation et comment y parvenir ?
À cet instant, il est probable qu'une partie d'entre vous se disent : "D'accord, il est en train de nous dire qu'il faut se résigner et serrer les dents !".
Pas si vite… Je comprends parfaitement que vous puissiez avoir cette impression, mais le message que je souhaite vous faire passer est tout autre.
L'acceptation signifie permettre à nos sensations et à nos pensées d'être telles qu'elles sont, agréables ou douloureuses, et de cesser de lutter contre elles.
Cela ne veut pas dire qu'on se met à "aimer" la douleur ! Cela veut dire consentir à lui donner de la place en nous, là tout de suite, car nous ne pouvons pas forcément la modifier.
L'acceptation n'est PAS de la résignation. Il ne s'agit pas non plus d'accepter passivement tout ce qu'il nous arrive.
Faire de la place pour certaines sensations et émotions désagréables peut vous permettre de ne plus dépenser inutilement votre énergie dans une lutte perdue d'avance. Vous pouvez alors l'investir dans des actions qui vous rapprochent de vos valeurs.
L'acceptation en pratique
Lorsque l'on ressent la douleur, il s'agit de lui accorder un peu de place en nous, de respirer à travers elle et d'accepter sa présence comme un signe de sensibilité et pas de blessure D'où l'intérêt d'un check up avec un professionnel de santé pour vous donner le feu vert !
Lorsque votre esprit vous sert ses meilleurs crus : "Tu es en train de t'abîmer le dos" , "Tu vas avoir mal comme la dernière fois" ou "C'est le disque que tu es en train de sentir" , il s'agit d'accepter que ces pensées puissent vous passer par la tête mais de reconnaître que ces pensées ne sont pas des faits.
Notre esprit se comporte parfois comme une radio catastrophe : il est constamment en train de vous raconter les pires scénarios et les pires choses qui pourraient vous arriver. On ne peut pas éteindre cette radio, mais on peut choisir de ne pas y adhérer.
Quelles règles suivez-vous au quotidien ?
Dans la vie de tous les jours, nous fonctionnons avec un ensemble de règles. Nous agissons d'une certaine manière en fonction de celles-ci. En voilà trois exemples (une triviale, et deux en lien avec notre thématique).
(1) Si je veux manger, je dois cuisiner.
(2) Si je veux prendre soin de mon dos, je dois essayer de me tenir droit.
(3) Si je veux me sentir bien assis, je dois m'asseoir sur certains types de chaise uniquement.
Nous ne tirons pas ces règles de notre chapeau !
Elles sont basées sur notre compréhension du monde et de notre corps, sur les choses que nous avons entendues, ou sur notre propre expérience. Elles sont issues des pensées qui nous traversent l'esprit en permanence, et qui deviennent parfois envahissantes.
Règles flexibles VS règles rigides
Certaines règles sont plus flexibles et d'autres sont plus rigides. Reprenons les exemples précédents et modifions-les.
Version plus flexible
(1) Si je veux manger, je dois cuisiner. Je peux aussi commander un plat à emporter, manger au restaurant, ou encore manger les restes du dernier repas.
(2) Je préfère garder le dos droit. Je peux aussi adopter d'autres positions en fonction de mes sensations et de ce que je suis en train de faire.
(3) Je préfère certains types de chaise, mais je peux m'adapter à des chaises moins confortables en utilisant certaines stratégies.
Version plus rigide
(1) Si je veux manger, je n'ai pas d'autre choix que de cuisiner. Peut-être même un seul type d'aliment.
(2) Je dois toujours garder le dos droit, et faire attention à ne jamais dévier de cette position.
(3) Je ne peux m'asseoir que sur un type de chaise, avec un coussin cylindrique, sans exception possible.
Prenez un instant pour réfléchir aux règles que vous suivez. Je vous encourage même à y réfléchir au cours des prochains jours. Dans votre esprit, cela peut se manifester par des pensées qui commencent par "je dois" ou "il faut que".
Quelles sont les conséquences des règles que vous suivez ?
Il est difficile de répondre à cette question. Pourquoi ?
La plupart des règles ont des conséquences différentes au court terme et au long terme. Cela devient problématique lorsque les conséquences au court terme sont bénéfiques et qu'elles sont néfastes au long terme.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
Voici une règle : si je veux soulager une démangeaison, je dois me gratter.
Effectivement, au très court terme vous êtes certain d'y trouver votre compte. Et dans la plupart des cas, cela suffira à résoudre le problème et vous continuerez votre vie sans plus jamais y penser.
Cependant, si vous avez une piqûre de moustique, l'effet à moyen terme sera d'augmenter la démangeaison, et cela retardera la cicatrisation.
Pire encore, si vous souffrez d'eczéma, l'effet à moyen et long terme sera d'augmenter fortement les démangeaisons et les dégâts causés à votre peau.
Certaines règles peuvent alors vous enfermer dans une boucle : l'action soulage sur le coup, mais le problème revient systématiquement. Parfois, c'est encore pire, et cela peut nous motiver à réagir de la même manière. Le comble !
Quelques exemples de cercles vicieux
1) Se tenir droit autant que possible
Monsieur K a connu plusieurs terribles lumbagos. Depuis, il fait tout ce qu'il peut pour protéger son dos et pour ne plus jamais ressentir ces douleurs fulgurantes.
Il essaie de garder le dos droit le plus souvent possible car dès qu'il dévie de cette position, il sent que "ça tire" dans le bas de dos. Tout le monde lui a bien répété qu'il fallait se tenir droit, surtout quand on a mal au dos.
Grâce à cette règle, il parvient à continuer à travailler et à assumer les activités de la vie quotidienne, sans pour autant se sentir bien tranquille.
Il faut dire que monsieur K s'est abstenu de toute activité physique non nécessaire depuis deux ans. Qu'il a abandonné l'idée de retourner courir. Qu'il a presque oublié comment bouger de façon relâchée. Qu'il s'en tient au minimum syndical pour se préserver, par crainte de refaire un lumbago.
Au court terme, protéger davantage son dos a eu un avantage. Au long terme, la même action entraine des conséquences négatives : perte de confiance, sédentarité, mouvements raides, etc.
C'est pour cette raison que je rappelle régulièrement les raisons pour lesquelles les mauvaises postures n'existent pas.
2) Multiplier les outils et les rituels
Madame P a mal dans le bas du dos depuis une quinzaine d'années. Pour essayer de se soulager au quotidien, elle a d'abord utilisé une ceinture lombaire. Puis elle s'est mise à utiliser une huile essentielle censée apaiser l'inflammation. Par la suite, elle a acheté des coussins "spécial mal de dos" et elle s'est laissée convaincre par divers accessoires sur internet dont un fameux correcteur de posture.
À chaque fois qu'elle intègre une nouvelle "technique" à son quotidien, elle se sent rassurée et moins douloureuse. Néanmoins, après une ou deux semaines, chacun de ces outils n'est plus vraiment efficace. Madame P continue cependant de tous les utiliser, car elle a peur que son état se dégrade si elle abandonne un de ses outils.
Aujourd'hui, les journées de madame P sont rythmées par tous les rituels qu'elle a conservé : utiliser une ceinture lombaire à certains moments de la journée, utiliser son huile essentielle à telle heure, utiliser ses accessoires anti-mal de dos, s'asseoir uniquement là où elle peut installer son coussin breveté… Elle admet volontiers que toutes ces choses occupent une part significative de son temps libre.
Le mal de dos de Madame P ne s'est pas amélioré malgré tous ces efforts. Par ailleurs, cela l'empêche de passer davantage de temps avec ses proches et de se rendre dans des endroits dans lesquels elle ne peut pas suivre ses habitudes. Tous ces efforts participent à focaliser l'attention sur la douleur plutôt que de l'orienter vers les choses qui comptent pour elle.
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3) Utiliser systématiquement une thérapie passive
Monsieur B a eu de fortes douleurs au dos pendant un mois en 2017. À l'époque, son médecin l'avait redirigé vers un ostéopathe qui l'avait manipulé en lui expliquant qu'une vertèbre s'était coincée. Les douleurs avaient ensuite disparu, bien que monsieur B. ait gardé un peu d'appréhension par la suite.
Depuis, il se rend chez un thérapeute manuel pour se faire manipuler le dos dès qu'il a l'impression qu'un lumbago rôde. Il est quasiment toujours satisfait du résultat car il se sent mieux en sortant de chez le thérapeute.
Au fil du temps, il est de plus en plus convaincu que son dos est fragile, et que seule une manipulation peut l'aider. Monsieur B a le sentiment qu'il est impuissant et que sa situation n'évoluera jamais. Il évite d'ailleurs de faire du sport pour ne pas tenter le diable, et tant pis pour ses amis au football.
Les règles que nous décidons de suivre et les pensées qui les accompagnent peuvent occuper une place démesurée dans notre vie. Elles peuvent nous immobiliser plutôt que de nous aider.
"Le poids des pensées" par Thomas Lerooy
Avez-vous entré une destination dans votre GPS ?
Ne plus avoir mal, ne pas penser à la douleur, ne plus s'inquiéter, moins stresser.. Quel est le point commun entre tous ces objectifs ?
Ce sont des objectifs qui visent à vous éloigner de quelque chose (la douleur, l'anxiété, l'inconfort), au lieu de chercher à vous rapprocher de ce que vous aimez dans la vie.
Pour mieux comprendre, imaginez que vous rentrez dans votre voiture et que vous commencez à paramétrer votre GPS.
Avoir pour objectif de "ne plus avoir mal", c'est comme demander au GPS uniquement "pas de bouchons" et "routes agréables à conduire". Vous risquez d'atterrir au milieu de nulle part, étant donné que vous n'avez pas renseigné de destination. Vous pourriez même rencontrer des bouchons quand même, car il y a parfois du trafic quoique l'on fasse.
Il peut être plus utile de d'abord rentrer la destination, ce dont vous voulez vous rapprocher (une valeur, des personnes), et ensuite peut-être rajouter quelques conditions.
Dans quelle direction voulez-vous aller ?
Imaginez que l'on vous propose de prendre une pilule magique.
Si vous prenez cette pilule, vous n'aurez plus jamais de douleur. Seul effet secondaire : vous ne pourrez plus jamais sortir de votre lit, ni interagir avec personne jusqu'au jour de votre mort.
Prendriez-vous cette pilule magique ?
Si non, pourquoi ? Quelles actions sont trop importantes pour vous pour les sacrifier en l'échange de l'absence de douleur ? Peut-être y a-t-il des valeurs en particulier qui comptent pour vous, ou simplement des personnes auxquelles vous pensez ?
Ce temps de réflexion me paraît essentiel, car la douleur peut être tellement envahissante que nous finissons complètement déboussolés. Il est alors probable que nous n'ayons à l'esprit que des objectifs en négatif: "ne plus avoir mal", "ne plus être triste", etc.
Qu'est-ce qui est important pour vous dans votre vie ? À quoi aimeriez-vous accorder plus de temps ?
Prenez également un moment pour identifier les dernières actions que vous avez faites pour vous approcher de tout cela.
Vous pouvez alors décider de vous rapprocher des choses que vous aimez, plutôt que de vous éloigner des choses que vous n'aimez pas.
Les règles évoquées dans l'article peuvent suivre la même direction. Est-ce qu'elles vous aident à vous approcher des choses qui comptent pour vous au long terme ? Quelles sont les règles les plus rigides que vous suivez, et quelle est leur influence sur votre situation ?
La flexibilité psychologique, votre meilleure alliée
L'une des compétences les plus utiles que nous pouvons apprendre, à mon sens, est la flexibilité psychologique.
Dans ce contexte, il s'agit d'être capable de poursuivre ses valeurs et ses objectifs (passer du temps avec un proche, s'ouvrir aux autres, prendre soin de soi, etc) malgré la présence d'une certaine dose de sensations et d'émotions désagréables.
Dans le cadre de la douleur persistante, vous faites face à de nombreux défis au quotidien. L'un d'entre eux est de trouver le bon équilibre entre "gérer la douleur" et "faire ce que vous avez envie de faire".
Si l'on agit uniquement pour se diriger vers ce que l'on aime, il est possible que cela puisse se retourner contre nous à certains moments. Mal doser certains efforts, sous-estimer une tâche, ne pas entretenir notre santé suffisamment, etc.
Si l'on agit uniquement pour contrôler notre ressenti, le risque est de vivre une vie aseptisée sans pour autant être plus agréable, pour toutes les raisons évoquées dans l'article : focalisation sur les sensations et les pensées, évitement des activités qui comptent pour nous, etc.
Cet équilibre peut être délicat à conserver. Plusieurs choses peuvent vous aider à vous adapter à cette chose imprévisible qu'est la douleur. Suivre des règles flexibles plutôt que rigides, faire une place aux expériences désagréables, se détacher de ses pensées, définir ses valeurs et s'engager dans des actions qui vous en approchent : tout cela en fait partie. Un psychologue formé à l'ACT peut vous aider à y parvenir.
Résumé
Sources et contenu supplémentaire
Cet article fait notamment suite à une formation avec Benjamin Schoendorff, psychologue canadien et thérapeute ACT, et à la lecture de certains livres.
Pour le grand public :
Pour les professionnels de santé :
Cette article est en quelque sorte la suite d'un article de 2018 : Quand faut-il lâcher prise avec le mal de dos ?
Vous trouverez aussi des choses en lien avec cet article dans celui-ci : La douleur, c'est dans la tête ? (ou, si vous préférez regarder une vidéo sur ce sujet, cliquez ici)
3 commentaires
Danielle · 13 octobre 2022 à 9:14 am
Désolée : est et non et …
Danielle · 13 octobre 2022 à 9:13 am
Totalement en accord avec votre article – C’est pour cela que je pratique depuis 2 ans la sophrologie, la méditation de pleine conscience : j’apprends à vivre l’instant présent, à « laisser passer les pensées » et en effet je ne me résigne pas ! en cela votre site(découvert depuis peu) et une aide précieuse.
Eric Bouthier · 13 octobre 2022 à 2:01 pm
Bonjour Danielle, merci pour votre commentaire ! Ce sont effectivement des approches qui peuvent aider à la gestion de la douleur et des émotions. La méditation de pleine conscience est une composante à part entière de la thérapie d’acceptation et d’engagement évoquée dans l’article. Je vous souhaite une belle progression !