Voici le deuxième article de Joletta Belton que j'ai traduit pour vous. Au programme : le stress et ses conséquences sur la santé, le mental, la douleur, et la vie en général.

Pour rappel, le premier article traduit est disponible ici. Il s'agit du témoignage de Joletta concernant son parcours avec la douleur chronique.

Je l'ai choisi car je trouve qu'il rend bien compte du côté multifactoriel du stress, et de ses liens étroits avec tous les autres facteurs qui modulent la douleur. J'espère qu'il vous plaira !


L'autre jour, pendant une course de 6 km, j'ai couru mes trois premiers kilomètres les plus rapides depuis plus de sept ans et demi. Mon premier kilomètre le plus rapide, aussi. Et je l'ai fait sur du béton avec des grosses chaussures que je n'avais même pas achetées pour courir avec.  Ce sont des conditions qui m'auraient incité à éviter de courir il y a tout juste 6 mois.

Je me sens bien. Plus que bien, je me sens en pleine forme. Bien entendu j'ai un petit peu mal, mais "ma douleur" n'a pas augmenté. Elle n'a pas "flambé". Pas une fois elle ne s'est manifestée pendant que je courrais.

Si tout cela s'était passé pendant une période stressante ces dernières années, cela aurait pu me faire dérailler. Non, cela M'AURAIT FAIT dérailler.

Mon meilleur pote Buster est en train de récupérer d'une opération en urgence, réalisée il y a trois semaines après être soudainement devenu paralysé.

C'était terrifiant et cela m'a brisé le coeur.

Maintenant il se sent mieux, et il récupère bien. Il n'a pas le droit de faire grand chose, et je suis constamment avec lui car c'est une petite tête de mule. Il est sourd, donc même si je lui expliquais, cela ne servirais à rien.

Image du chien de Joletta, un petit teckel

Inutile de le préciser (au moins pour les amoureux des chiens), ce fut très stressant. La paralysie soudaine ainsi que la douleur, la rencontre avec le chirurgien, l'IRM et la chirurgie juste après, et enfin les trois jours suivants - Buster à l'hopital sans personne pour dormir avec lui.

Et mon chien n'était pas la seule chose qui me tourmentait à cette époque. Mon mari avait été diagnostiqué d'un cancer de la peau juste avant que tout ceci n'arrive. Il s'est fait opéré d'un mélanome une semaine plus tôt, puis de nouveau opéré d'un carcinome près de son oeil la semaine dernière.

J'ai connu des étés meilleurs ! (mais le pronostic pour mes deux garçons est bon, pas de souci à se faire)

Pourtant, ma douleur et mon anxiété sont restées normales.

Ma douleur n'a pas flambé et mon anxiété n'est pas montée en flèche malgré toute cette inquiétude. Je m'en suis bien sorti et je suis restée capable de m'occuper de mes deux garçons. Et de courir. Courir plus vite que pendant ces sept dernières années, sur des surfaces sur lesquelles je n'aurais même pas imaginé courir aussi tôt.

J'ai tendance à cogiter pendant mes footings, et j'ai réfléchi à ce qui pourrait expliquer tout cela.

Ma conclusion : j'ai la capacité d'encaisser tout cela en ce moment. Je suis en mesure de leur donner toute mon attention parce que mon vase n'est pas en train de déborder. La douleur se rappelle à peine à ma conscience ces temps-ci, et elle ne me vole plus toute mon énergie et mon attention comme elle l'a fait ces dernières années.  De plus, j'ai des stratégies qui m'aident à gérer ce que la vie me sert chaque jour, des stratégies que je ne connaissais pas auparavant.

Stress

Cela m'a fait penser à un article que j'ai lu récemment à propos du stress : “When is stress good for you? The subtle flows and toxic hits of stress get under the skin, making and breaking the body and brain over a lifetime“ . C'est une très bonne lecture, je vous la recommande chaudement.

Tout stress n'est pas mauvais, bien entendu. Comme toujours, il y a beaucoup de nuances. Certains stress sont en fait plutôt bons pour vous. Le genre de stress qui vous permet de grandir, d'apprendre et de vous adapter, ou de saisir les occasions pour faire ce que l'on désire. Courir est un bon stress pour moi. Écrire également.

Certains stress ne sont pas bons, en soi, mais cela reste tolérable. Nous nous sentons armés et capables de le gérer, même en cas d'imprévu. Appuyer sur le bouton "Publier" pour mes articles de blog est un stress tolérable pour moi. Tout comme l'été dernier lors des opérations inattendues de mes garçons.

Les stress "bons" ou "tolérables" sont tout deux inscrits dans le court terme : ils sont brefs, impermanents. Ils vont et viennent, modulés par tout une cohorte de réponses physiologiques et comportementales. Ces réponses sont globalement appelées allostase, and elles nous permettent de maintenir un équilibre (appelé homéostase) dans l'ensemble de nos systèmes.

Le stress toxique

Le stress est parfois toxique, cependant. C'est le genre de stress qui vient, mais qui ne repart pas. Par conséquent, les réponses physiologiques et comportementales qui nous permettent d'y faire face efficacement au court terme restent également actives, mais dans ce cas elles ne sont plus vraiment utiles, et elles peuvent carrément devenir néfastes. 

Ce phénomène est appelé la charge allostatique, et cela mène à une perturbation de l'homéostase. L'équilibre est brisé plus longtemps que prévu.

Mes premières années de douleur étaient essentiellement des années de stress toxique. J'étais complètement détraquée. Voilà une liste (non-exhaustive) des facteurs de stress auxquels je n'étais pas préparée.

Ma liste de charge allostatique 😉

  • Une douleur qui s'empire et qui reste inexpliquée
  • L'inquiétude, la peur, l'anxiété qui entourent l'incertitude à propos de ma douleur et de mon avenir
  • Plusieurs années d'échecs thérapeutiques avec une multitude de professionnels (des traitements que J'AI raté, dans le jargon thérapeutique, pas des traitements qui ONT raté).
  • Manque de sommeil
  • Isolation sociale, solitude et dépression
  • Être inactive, et n'être impliquée dans aucune activité qui a du sens
  • Difficultés de couple, et insécurité financière (mon mari s'est fait licencié peu après que je quitte mon travail).
  • Perdre au final ma carrière et par la même occasion mon identité, mes objectifs et tout sentiment de satisfaction personnelle.
  • Avoir des problèmes avec l'assurance, et ne pas se sentir crue par les professionnels de santé, par l'assurance maladie, et même par certaines personnes dans mon propre service (un coup dévastateur).

Je n'avais tout simplement pas les ressources pour naviguer à travers tout cela. Même à travers un seul des éléments de cette liste. Même les petites choses étaient des obstacles trop grands pour moi, parce que mon vase était déjà en train de déborder, à cause de tous les autres éléments. J'étais perdue, effrayée, anxieuse, inquiète - au milieu de cette charge allostatique, mon homéostase qui part en sucette, et tous mes systèmes déréglés.

Est-ce que tout le monde a la même liste ? Bien sûr que non. Mais nous en avons tous une.

Est-ce que tout le monde réagirait de la même manière ? Certainement pas. Certains auraient géré la situation beaucoup mieux que moi, j'en suis sûre. Peut-être que certains l'auraient encore moins bien gérée que moi (je ne l'espère pas).

Nous sommes tous différents. Certains d'entre nous rencontrent plusieurs de stress que d'autres, et certains d'entre nous ressentent plus de stress que d'autres, et cela a aussi son importance. Rien que la perception du stress affecte notre espérance de vie. (Nos perceptions font aussi partie de la biologie !)

Des conséquences biologiques bien réelles

Le stress toxique affecte notre biologie et notre comportement au fil du temps. Pour en savoir plus sur les effets physiologiques du stress, écoutez quelques conférences de Robert Sapolsky, un ancien élève du type qui a écrit l'article cité plus haut (cool, n'est-ce pas ?). Vous pouvez trouver ici une conférence récente sur son dernier ouvrage Pourquoi les zèbres n'ont pas d'ulcères .

Ces effets toxiques surviennent au fil de notre vie. Même le stress toxique vécu pendant l'enfance, MÊME le stress dans l'utérus, peut nous affecter à l'âge adulte. Cela semble être également le cas pour la douleur, sans surprise.

Les interrupteurs épigénétiques sont actionnés. Les réponses endocrines (hormonales) et immunitaires sont altérées, ce qui a des conséquences sur les fonctions cardiovasculaires et digestives. Le comportement et l'humeur changent.

La neuroplasticité devient maladaptative [c'est-à-dire qu'elle permet un changement néfaste ou contre-productif] : les neurones s'atrophient, des synapses sont perdues, et l'hippocampe rétrécit (une partie du cerveau associée à la mémoire et à l'humeur). Des changements surviennent dans le cortex pré-frontal, une zone importante dans l'auto-régulation de l'humeur, de la vigilance, du self-contrôle et de plusieurs fonctions cognitives. En contrepartie, les neurones de l'amygdale (une partie liée à l'anxiété et aux réactions de défense) deviennent plus grands.

Notre corps et notre cerveau CHANGENT. L'homéostasie est menacée par les assauts de la surcharge allostatique, du stress toxique. Tout ceci est bien lié et affecté par la douleur persistante. Une douleur chronique est une source de stress majeure après tout.

La spirale descendante

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour influencer positivement certains effets de la charge allostatique et du stress toxique, et influencer positivement la bioplasticité. Le hic, c'est que tous ces effets listés plus haut compliquent sacrément la tâche ! 

Quand la douleur, la peur et l'anxiété sont au rendez-vous, et que l'humeur et les fonctions cognitives sont au plus bas, il n'est pas difficile de constater que n'importe quelle tâche semble infaisable. Quand votre vase est en train de déborder, parfois, la seule chose que vous pouvez faire est d'éviter de vous y noyer.

C'est le plus regrettable : les moments où nous avons le plus besoin de nous engager dans des approches actives qui pourraient briser le cercle vicieux du stress et de la douleur, sont également les moments où ces solutions ne sont même pas sur notre radar.

Il ne s'agit pas simplement de volonté et de motivation. Ce n'est pas aussi simple que cela.

La douleur, particulièrement lors qu'elle n'a pas de sens ni d'explication, est très stressante. Tout ce qui tend à y être associé l'est aussi.

Le stress et la douleur ne sont pas deux processus distincts, indépendants l'un de l'autre. Je pense que c'est une erreur de considérer n'importe quel élément, n'importe quelle chose qui survient dans notre vie (pas uniquement la douleur), comme séparée de tout le reste. Tout est plus ou moins lié, en fonction des personnes et en fonction de la période, bien sûr.

Ce que je ne savais pas à ce moment

La douleur - ou le stress, ou n'importe quelle expérience humaine - n'est ni dans le cerveau, ni dans une partie du corps, elle est dans l'ensemble. Elle est dans la personne, dans son être. Plus précisément, elle est dans la vie de la personne. Nous existons tous au sein d'un environnement social qui a aussi une influence sur nous.

Je n'avais aucune idée à quel point le stress jouait un rôle prépondérant dans mes premières années de douleur (wow, et même ces dernières années). J'aurais aimé avoir été guidée plus tôt. Au lieu de cela, mon stress était hors de contrôle - et avec lui la douleur et l'anxiété - provoquant des ravages dans mon corps et dans mon esprit, perturbant mon équilibre, et perturbant ma vie.

Mais attendez un petit peu ! Tout n'est pas perdu ! Il y a aussi de bonnes nouvelles dans tout cela. Ces temps-ci, j'ai de nouveau la pêche. Je suis équilibrée. En homéostase. 😉

Nous AVONS le pouvoir d'encourager une neuroplasticité utile, et de rééquilibrer quelque peu les systèmes de notre corps, bien que cela puisse être ardu quand on part d'en bas. C'est quelque chose de magnifique et de génial. Nous avons du pouvoir, du contrôle sur tout cela. Sur notre stress, sur notre douleur, sur nos vies.

Le parc national des Rocky Mountains, un endroit anti-stress pour Joletta

Le parc national des Rocky Mountains - la nature a toujours été mon refuge

La spirale ascendante

Bien avant que j'imagine retourner faire un footing, j'ai eu des jours où sortir du lit était une réussite. Des jours où prendre une douche et peut-être aider à décider ce qu'on allait manger pour dîner (sans même cuisiner ce dîner) étaient des exploits incroyables.

À cette époque, j'avais tout juste assez d'énergie pour traverser ma journée. Mon vase était en train de déborder. La douleur était tout ce que connaissais, tout ce à quoi je pensais, tout ce à quoi je faisais attention.

Petit à petit, j'ai commencé à faire attention à d'autres choses que la douleur. Et j'ai remarqué que lorsque je m'intéressais à ces autres choses, je n'étais pas en train de me focaliser sur ma douleur. Cela a légèrement élargi le champ des possibles.

Cela m'a pris des années pour arrêter d'organiser ma vie autour de la douleur, et pour commencer à vivre ma vie avec la douleur. La douleur était toujours présente, que je vive ma vie ou non. Et pour vivre ma vie, je savais que je devais impérativement arrêter de dépenser tant de temps, d'énergie et de ressources pour combattre la douleur, et d'espérer une réalité différente.

Accepter ce qui est, et accorder un peu de place à la douleur, m'a donné la capacité d'adopter des stratégies qui se sont révélées utiles pour contrecarrer les effets du stress toxique.

Stratégies

Au fil du temps, j'ai réussi à accorder plus d'attention aux choses qui comptaient pour moi. Et ma douleur, ma peur et mon anxiété se sont atténuées. Progressivement, mon vase était moins plein, ce qui a libéré de la place pour me ré-engager dans des choses qui ont de la valeur pour moi. Mon corps et mon esprit se sont ré-équilibrés. Ma vie était moins vide, plus épanouissante.

La pleine conscience et le mouvement

La méditation et les techniques de respiration peuvent réduire le stress toxique - ou au moins le rendre plus supportable - et nous aider à retrouver l'homéostase. La pleine conscience peut inverser certains changements qui ont lieu dans l'amygdale, l'hippocampe et le cortex préfrontal en présence de stress toxique. Cela peut aussi nous aider à répondre différemment au stress, à la douleur, à l'anxiété et à l'inconfort, ce que je trouve particulièrement utile.

Marcher tous les jours - ou n'importe quelle activité physique, vraiment, est également associé à une production de neurones dans l'hippocampe. La marche (et maintenant la course) est le moment où j'ai le plus d'idées pour écrire ;). C'est ce qui m'aide à booster ma créativité et ma productivité, à calmer mon esprit bavard, à améliorer ma circulation sanguine et la lubrification de mes articulations, et à me retrouver dans mon endroit préféré au monde : dehors.

Le mouvement et la pleine conscience sont les deux stratégies que j'utilise le plus (elles peuvent l'être absolument partout et à tout moment) et qui m'apportent le plus de bénéfices, en particulier lors je les combine.

Le sommeil et la socialisation

Un bon sommeil est aussi important. Tout comme les interactions sociales. Nous devenons tellement isolés et séparés du reste du monde lorsque la douleur s'empare de nous, que cela exacerbe les effets du stress toxique et de la douleur. Cotoyer des amis et de la famille de nouveau, se reconnecter avec d'autres gens, d'autres endroits et d'autres expériences qui comptent pour moi, a fait une différence énorme (bien que progressive) pour moi.

Toutes ces choses mènent à des adaptations du système nerveux et à des changements physiologiques très positifs. Elles peuvent inverser certains effets du stress toxique et de la charge allostatique. Ce sont toutes des choses que je fais au quotidien en ce moment, et je crois honnêtement qu'elles ont contribué à l'amélioration de mon état et de ma santé au fil des années.

Vider un petit peu le vase

Les stratégies dont j'ai parlé plus haut permettent d'augmenter la capacité de notre vase.

Mais nous n'avons pas une capacité infinie. Parfois, nous avons simplement besoin d'enlever certaines choses de notre vase pour qu'il s'arrête de déborder. De jeter du leste, là où c'est possible.

Je l'ai fait cet été. Beaucoup de mes projets étaient en pause pendant ces quelques semaines, et c'était ok. Dans l'idéal, j'aimerais tout faire en même temps, mais à ce moment-là, m'occuper de mes garçons, courir quelques fois dans la semaine et écrire un petit peu était largement suffisant.

Je suis toujours surprise de me rendre compte que j'ai été capable de traverser cet été d'opérations et de stress sans que mon vase ne déborde. Sans douleur ni anxiété. Wow ! Je suis parfois choquée de voir le chemin que j'ai parcouru lorsque je regarde en arrière.


J'espère que l'article vous a plu et qu'il vous a inspiré !

Et vous, quelle est votre liste ? Quels éléments de stress s'entremêlent dans votre vie ? Lesquels semblent modifiables ?

Portez vous bien.

À bientôt !

Eric.


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