« Où est mon dos ? » : le lien étonnant entre image corporelle et douleurs lombaires chroniques

Quand je venais d'arriver à Lyon, j'ai eu une expérience marquante avec un patient. C'était un étudiant étranger, qui souffrait de douleurs lombaires marquées depuis plusieurs années. Suivre les cours en amphithéâtre était devenu un cauchemar. 

Je lui demande : "Où est-ce que vous avez mal exactement ?". Il se concentre pendant plusieurs secondes, puis abandonne : "Je ne sais pas. Quelque part dans le bas du dos". Premier indice qu'il se passait quelque chose.

Plus tard dans la séance, nous essayons des mouvements simples (dos rond, dos creux, etc) et je me rends à l'évidence. Malgré sa bonne volonté, il n'a aucune idée de ce qu'il se passe dans son dos. À l'époque, je ne le savais pas, mais tout cela peut en réalité s'expliquer clairement.

Sans rentrer dans les détails, je voudrais vous donner quelques explications. Pour savoir la position et le mouvement d'une partie du corps, nous avons besoin d'une représentation de cette partie du corps dans notre cerveau. Imaginez une carte de ce territoire, qui serait gravée dans votre cerveau. 

Lorsque les douleurs lombaires persistent, la "carte" de votre dos devient moins précise (plusieurs études vont dans ce sens, dont cette étude de 2016). Comme si vous aviez renversé votre café sur une belle carte IGN, alors que vous prépariez votre prochaine randonnée. Le résultat ? Les contours sont brouillés. Certaines parties sont illisibles.

Or, lorsque vous cherchez à emmener votre dos d'une position à une autre (autrement dit, bouger), vous avez besoin d'une représentation de votre dos aussi précise que possible ! Surtout quand votre kinésithérapeute s'est mis en tête de vous faire faire des bascules de bassin…

En pratique, c'est votre image corporelle qui en pâtit. Vous avez plus de difficulté à localiser précisément où on vous touche au niveau des lombaires. Tout le bas de votre dos devient comme un bloc indifférencié. 

Savez-vous facilement si le bas de votre dos est complètement arrondi, légèrement arrondi, droit, légèrement cambré ou complètement cambré ? Dans le cas de mon patient à Lyon, il ne pouvait pas du tout faire la différence entre ces positions.

Cela peut même aller plus loin que de simples difficultés à effectuer des exercices de rééducation. Si la perception de votre dos est altérée, vous pourriez avoir l'impression que votre dos n'est pas droit, que votre bassin n'est pas dans la bonne position, voire que quelque chose s'est déplacé. 

Par conséquent, tous les discours de thérapeutes manuels tels que "Votre dos est déplacé et je vais le remettre en place" deviennent extrêmement séduisants. Nous en parlons en détails ici : L'arnaque du bassin déplacé.

Petit aparté pour les professionnels qui passent par ici : j'utilise uniquement le terme d'image corporelle pour simplifier le propos. Dans un contexte professionnel, il y aurait bien entendu une différence à poser entre image corporelle et schéma corporel.

Ces choses là peuvent être délicates à partager avec votre médecin ou votre kiné, si vous ne les connaissez pas assez bien. On a parfois peur de ne pas être pris au sérieux. Pourtant, ce phénomène semble beaucoup plus répandu que nous ne l'imaginons. 

Les personnes qui souffrent de lombalgie chronique décrivent fréquemment un sentiment d'exclusion et d'aliénation de la zone douloureuse (étude de 2006).

Comme si le bas du dos ne leur appartenait plus, et qu'ils n'arrivaient plus à savoir avec précision ce qu'il s'y passe ! D'autres personnes encore n'arrivent même pas à dessiner le contour de leur dos, tant leurs sensations sont altérées (étude de 2008)

Si vous êtes concerné(e), c'est donc une information utile à fournir à vos professionnels de santé (quand vous leur décrivez vos douleurs).

Le degré d'atteinte de l'image corporelle semble relié à l'intensité de votre douleur et à votre niveau de difficultés dans les activités quotidiennes (étude de 2016). Autrement dit, plus l'image de votre dos est brouillée, plus vous avez mal.

Plusieurs pistes ont été étudiées pour travailler sur ce point. Hélas, nous manquons encore d'études solides pour pouvoir faire de réelles affirmations (revue systématique de 2015). Considérez ce qui suit comme des pistes intéressantes parmi d'autres.

Faire des mouvements tout en regardant son dos pourrait permettre d'avoir moins mal. Dans cette étude de 2012, des personnes ayant mal au dos faisaient des mouvements lombaires tout en observant leur dos grâce à un jeu de miroirs. L'augmentation de douleur due aux mouvements était plus faible, et les douleurs diminuaient ensuite plus vite que sans les miroirs.

Pour utiliser cette technique, il vous faut deux grands miroirs face à face, légèrement de travers. Vous pouvez faire comme dans l'étude, à savoir une dizaine de mouvements dans chaque direction (flexion, extension, etc). Si vous avez besoin d'idées d'exercices, je vous invite à consulter la méthode d'exercices Comprendre Son Dos.

Le principe de ce jeu est de s'entrainer à identifier des contacts sur la peau de votre dos. Vous devez y jouer avec un partenaire. Voilà un exemple de progression en trois phases.

D'autres approches pourraient avoir un intérêt en cas d'altération de l'image corporelle. Des exercices de méditation ou d'hypnose peuvent aider à travailler dessus. La rééducation par la réalité virtuelle est également en train de se développer !

La chose la plus simple que vous pouvez essayer est un exercice de méditation de pleine conscience. Ce type d'exercice contient à la fois ce qu'on appelle un scan corporel et un travail d'observation sans jugement des sensations. Ci-dessous, un exemple d'exercice à essayer dès ce soir.