Parmi celles et ceux d'entre vous qui souffrent de douleurs lombaires chroniques, vous déplorez souvent un manque d'information et l'absence de diagnostic précis. Parfois même vous avez le sentiment que les médecins sont passés à côté de quelque chose.
Au détour d'une recherche sur Internet, vous apprenez l'existence de la fibromyalgie. Cela a l'air un peu nébuleux, mais cela vous parle : il y est question de douleurs handicapantes, de fatigue, et d'autres problèmes de santé dans lesquels vous vous reconnaissez. Vous avez ensuite lu des témoignages de personnes concernées, et là votre sang s'est figé. Leur quotidien semble rude et leur pronostic peu réjouissant.
Au cabinet, il arrive régulièrement que des patients ayant mal au dos me demandent "Est-ce que mon problème pourrait être une fibromyalgie ?". En tant que kiné, mon travail n'est pas de poser un diagnostic médical, mais je fais de mon mieux pour vous informer.
Quelles sont les différences entre une fibromyalgie et une lombalgie chronique commune ? Existe-t-il des signes distinctifs à connaître ? À la fin de cet article, vous connaitrez toutes les informations essentielles pour les distinguer.
Qu'avez-vous entendu à propos de la fibromyalgie ?
Les représentations autour de ce syndrome ont fortement évolué au cours du temps. D'abord inexistante, puis rejetée, puis associée à des discours de type "c'est dans la tête", la fibromyalgie est aujourd'hui considérée comme une perturbation du système de la douleur, avec sensibilisation du système nerveux d'une façon générale.
La fibromyalgie est un syndrome caractérisé par des douleurs persistantes diffuses, une fatigue chronique, des perturbations du sommeil et la présence d'autres troubles fonctionnels. De ce fait, elle possède des points communs et des différences avec un mal de dos chronique "classique".
Elle semble toucher 2 à 4% de la population générale. Les chiffres peuvent changer du simple au double en fonction des critères utilisés pour la diagnostiquer.
Cet article n'a pas pour but de décrire les causes de la fibromyalgie. Ces dernières ne sont d'ailleurs pas connue à ce jour. Les hypothèses actuelles évoquent une origine multifactorielle avec une prédisposition génétique, des évènements déclencheurs d'ordre physique et psychologique, etc.
Différence n°1 : la localisation des douleurs ("J'ai mal partout !")
Par définition, les douleurs de la lombalgie chronique se situent dans le bas du dos. En fonction du type de douleur, elles peuvent autant se situer au centre que sur les côtés : tout est possible ! Elles peuvent également irradier dans une fesse, dans tout ou partie d'une jambe, voire des deux côtés.
Dans le cas de la fibromyalgie, les douleurs ne se limitent pas au bas du corps. Elles sont beaucoup plus diffuses, c'est-à-dire présentes dans plusieurs parties du corps et sans se limiter aux articulations.
On note également des sensations de picotements ou de fourmillements dans les mains, les membres ou le tronc, dans 20-30% des cas. Elles deviennent difficiles à localiser précisément, tant qu'elles sont... partout ! Avez-vous déjà ressenti cela ?
Mais alors, à partir de quelle étendue des douleurs doit-on suspecter une fibromyalgie ?
Les premiers critères établis en 1990 nécessitaient d'évaluer la sensibilité de 18 points répartis sur le corps. On comptait le nombre de points qui faisaient mal à la pression et, si vous en aviez au moins 11 sur 18 de douloureux, vous aviez droit à votre badge "fibromyalgique".
Hélas, ces critères avaient beaucoup de défauts : notamment un manque de fiabilité, un manque de spécificité (vous pouviez être diagnostiqué fibromyalgique à tort) et une absence de prise en compte des autres symptômes. Ces critères ne sont plus valides à ce jour.
Aujourd'hui, les médecins "comptent" le nombre de régions du corps qui font mal depuis plus de 3 mois de façon stable.

Différence n°2 : le trio fatigue - troubles du sommeil - symptômes cognitifs
En plus des douleurs diffuses, la fatigue, les troubles du sommeil et les troubles cognitifs peuvent tout autant dégrader votre qualité de vie au quotidien. Comme c'est le cas en général dans cet article, notez que ces symptômes ne sont pas spécifiques à la fibromyalgie.
On les retrouve aussi beaucoup chez les personnes souffrant "uniquement" de lombalgie chronique. Ces troubles deviennent un indice vers un diagnostic de fibromyalgie lorsqu'ils sont particulièrement sévères et qu'ils sont associés aux autres indices.
Estimez-vous avoir un gros problème de fatigue, présent au quotidien ? Est-ce vous vous réveillez chaque matin sans vous sentir reposé(e), comme si votre sommeil n'était pas récupérateur ?
Est-ce que vous vous plaignez régulièrement de pertes de mémoire, de difficultés à vous concentrer, ou d'avoir l'impression d'avoir la "tête dans le brouillard" ?
Différence n°3 : la quantité de troubles somatiques fonctionnels
Derrière le terme barbare de "trouble somatique fonctionnel" se cache tout un ensemble de désagréments qui ne sont pas des maladies à proprement parler (malgré une gêne bien réelle au quotidien !).
En lisant la liste plus bas, vous réaliserez que ce sont des problèmes de santé assez communs, sans doute également présents chez votre voisin. Ces troubles ont tendance à passer facilement inaperçus, contrairement à ceux qui accompagnent les spondylarthrites.
Nous nous y intéressons car nous savons maintenant que ces troubles ont tendance à être davantage présents en cas de douleurs persistantes, notamment en cas de fibromyalgie.
Une fois de plus, ce n'est pas un "diagnostic" mais cela devient un indice lorsque vous êtes concerné(e) par beaucoup de ces désagréments.
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Points communs entre fibromyalgie et lombalgie chronique
Inutile de préciser que la fibromyalgie et la lombalgie chronique commune peuvent toutes deux être très handicapantes au quotidien. Chez certains d'entre vous, le moindre mouvement est devenu inconfortable. Comment expliquer une telle galère, alors qu'auparavant vous viviez normalement ?

Quel est le point commun entre un aéroport et votre corps ?
Est-ce que vous aviez pris l'avion avant les attentats du 11 septembre 2001 ? À l'époque, vous pouviez arriver à l'aéroport peu de temps avant votre vol, et même emmener votre précieuse bouteille d'eau ! Les contrôles de sécurité étaient bien moins systématiques et poussés. Tout était plus facile.
Depuis le 11 septembre 2001, il faut arriver très en avance à l'aéroport, car il y a beaucoup plus de contrôles. La quantité de liquide autorisée, ainsi que les objets interdits à bord ont drastiquement changé. Pourquoi un tel changement ? La menace perçue par l'aéroport est bien plus haute, et ce dernier met donc en place des réactions de protection colossales.
Vous vous demandez peut-être pour quelle raison je vous parle de tout cela. Dans le cadre de la douleur chronique, c'est pareil ! Lorsque votre corps perçoit une menace importante, après des évènements très stressants, ou encore après un traumatisme, il se protège grâce à la douleur et à d'autres mécanismes.
Dans le cas de la fibromyalgie (et de certaines lombalgies chroniques), le corps est constamment en alerte maximale et se protège à la moindre perturbation comme un mouvement ou une position particulière. Comme si les contrôles de sécurité de l'aéroport étaient toujours en plan Vigipirate ultra renforcé ! En cas de crise, c'est l'aéroport tout entier qui est bloqué...

Soigne-t-on de la même manière une fibromyalgie et une lombalgie chronique commune ?
Enfin, un autre point commun entre la lombalgie chronique commune et la fibromyalgie est leur prise en charge. En partie, du moins.
Dans les deux cas, les professionnels de santé cherchent à vous donner un ensemble d'outils pour gérer les symptômes et pour pouvoir faire un maximum d'activités, qu'il s'agisse d'outils médicamenteux ou non médicamenteux. L'exposition progressive à des activités physiques est souvent proposée dans les deux cas.
Par ailleurs, l'auto-observation et les approches cognitivo-comportementales sont pertinentes dans les deux situations. Beaucoup de cercles vicieux peuvent s'installer entre vos sensations, vos pensées, vos émotions et vos réactions. Des professionnels qualifiés (psychologues, médecins, kinésithérapeutes...) peuvent vous aider à y voir plus clair.
En pratique, chaque soin est individualisé et personnalisé. Deux personnes fibromyalgiques peuvent avoir des problématiques diamétralement opposées, des besoins différents et des objectifs différents.
Il n'y a donc pas un "traitement de la lombalgie chronique" et un "traitement de la fibromyalgie" que l'on pourrait comparer sans se mettre le doigt dans l'œil (jusqu'aux lombaires).
Que faire si je me reconnais dans ces symptômes ?
Cet article n'est pas un manuel pour s'auto-diagnostiquer. Il vise plutôt à attirer votre attention sur des éléments importants à mentionner à vos professionnels de santé. Vous pourriez également utiliser l'article suivant : Comment décrire sa douleur à son médecin et à son kiné ?
Je vous conseille de discuter avec votre médecin des points qui vous ont interpelé dans cet article. Cela pourrait être une information précieuse dans son raisonnement clinique.
Cela lui permet entre autres d'écarter les autres problèmes de santé qui pourraient être responsables de ces troubles (problèmes immunitaires, infectieux, neurologiques, etc).
La frontière entre une lombalgie chronique commune (le mal de dos persistant sans pathologie précise) et la fibromyalgie peut être assez floue. Comment faire la part des choses ?
Imaginez un spectre allant d'une douleur très localisée et sans autre symptôme, à des douleurs très diffuses, omniprésentes, accompagnées d'autres syndromes fonctionnels et de répercussions psychologiques lourdes. Cet article pose surtout une question : à partir de quel moment peut-on suspecter quelque chose de plus qu'un "simple mal de dos" ?
À quel point est-ce important d'être diagnostiqué fibromyalgique ?
La question vous paraît elle étrange ? Pourtant, elle vaut le coup d'être posée ! Contrairement au diagnostic de spondylarthrite ankylosante, le diagnostic de fibromyalgie n'ouvre la voie à aucun traitement spécifique, tout simplement parce qu'il n'en existe pas à ce jour.
Les soins que l'on vous propose dans ce cas sont ceux que l'on propose à une personne souffrant de douleurs chroniques, en tenant compte de toutes les facettes de votre situation et en utilisant une approche pluridisciplinaire moderne.
Quels sont les avantages et inconvénients à la pose d'un diagnostic ?
Certains d'entre vous reçoivent le diagnostic comme une bénédiction, car cela donne enfin un nom et une légitimité à une souffrance quotidienne.
Là où la douleur détruit, le diagnostic donne une trame pour se reconstruire, un nouveau récit pour raconter son vécu. Face à l'incompréhension, voire aux doutes de l'entourage, le diagnostic redonne un sens et une unité à la vie de celui qui souffre.
Voici un témoignage d'une personne diagnostiquée d'une hypersensibilité chimique multiple (ce n'est pas une fibromyalgie) après 15 ans d'errance diagnostique.
"Au moins, personne ne pouvait plus dire que j'étais folle. À partir du moment où je me suis sentie mal, j'avais des douleurs que personne ne comprenait, j'avais des pertes de mémoire, des difficultés à me concentrer, la fatigue. Au moins on pouvait dire que ces changements n'étaient pas dus à ma folie. Souvent on m'avait dit que le mieux pour moi était la psychiatrie. Le diagnostic m'a libérée"
Pour être exhaustif, il faut aussi évoquer les possibles effets négatifs d'un tel diagnostic. L'absence de traitement spécifique et les nombreux témoignages anxiogènes peuvent décourager : "Puisque je suis fibromyalgique, il n'y a plus rien à faire, c'est foutu".
Il arrive également que certaines personnes se retrouvent enfermées dans cette catégorie : "Je suis fibromyalgique, DONC je dois agir comme cela, DONC je n'ai pas le droit de faire ceci, etc". Idéalement, un diagnostic ouvre le champ des possibles, pas l'inverse.
Qu'en pensez-vous ? Vos témoignages et votre opinion sur la question du diagnostic sont les bienvenus dans la section commentaires un peu plus bas !
À bientôt
Éric
Sources
Winfried Häuser & Mary-Ann Fitzcharles (2018) Facts and myths pertaining to fibromyalgia, Dialogues in Clinical Neuroscience, 20:1, 53-62 (lien)
Siracusa, R.; Paola, R.D.; Cuzzocrea, S.; Impellizzeri, D. Fibromyalgia: Pathogenesis, Mechanisms, Diagnosis and Treatment Options Update. Int. J. Mol. Sci. 2021, 22, 3891 (lien)
Sarzi-Puttini, P., Giorgi, V., Marotto, D. et al. Fibromyalgia: an update on clinical characteristics, aetiopathogenesis and treatment. Nat Rev Rheumatol 16, 645–660 2020 (lien)
Galvez-Sánchez, C. M., & Reyes del Paso, G. A. (2020). Diagnostic Criteria for Fibromyalgia: Critical Review and Future Perspectives. Journal of Clinical Medicine, 9(4), 1219. (lien)
Bair, M. J., & Krebs, E. E. (2020). Fibromyalgia. Annals of Internal Medicine, 172(5), ITC33. 7 (lien)
Le dossier de l'INSERM de 2021 sur la fibromyalgie si vous préférez lire en français
La comparaison avec la sécurité dans les aéroports et le 11 septembre est issue du livre Pain Neuroscience Education, 2nd Edition (un gros pavé en anglais, pour les professionnels qui seraient motivés 😉 ).
Le témoignage de la personne qui a reçu un diagnostic d'hypersensibilité chimique est issu du livre Tenir - Douleur chronique et réinvention de soi de David Le Breton.
6 commentaires
Anas · 20 février 2025 à 3:38 pm
Merci Eric , j’ai adoré la métaphore de l’aéroport !!
Eric Bouthier · 20 février 2025 à 9:02 pm
Merci pour ton retour Anas !
Stephanie · 16 septembre 2024 à 10:26 pm
Cela fait 10 ans que j’ai mal. Mon rhumato a posé le diagnostique d’une spondylarthrite l’année dernière mais la biothérapie ne fonctionne pas. Je suis hospitalisée demain pour l’avis d’un autre rhumato. On me parle de fibromyalgie….. On verra bien…..
Eric Bouthier · 16 septembre 2024 à 10:38 pm
Je vous souhaite le meilleur pour la suite Stéphanie.
Gadré Carole · 18 février 2025 à 4:16 pm
Bonjour,
Je vous remercie pour cet article très intéressant.
Le professeur Hamonet couple la fibromyalgie au syndrome d’Ehlers-Danlos : http://claude.hamonet.free.fr/fr/sed-fibromyalgie.htm
Bonne lecture
Eric Bouthier · 18 février 2025 à 5:12 pm
Merci pour votre retour !
Il est vrai que les personne souffrant du syndrome d’Ehler-Danlos souffrent souvent de douleurs polyarticulaires et/ou diffuses, difficiles à traiter efficacement.. J’irai regarder !
Bien à vous
Eric