Chaque jour, des millions de personnes mènent une lutte sans merci aux mauvaises postures, afin de préserver leur dos. Les messages d'alerte lancés chaque jour par les médias, les proches, et de nombreux professionnels s'ancrent profondément dans notre esprit. Se tenir droit, plier les jambes, contracter les abdominaux, éviter les torsions, faire attention en se levant du lit... tout cela vous paraît-il familier ?

Imaginez. Vous êtes en train de travailler. Il n'est que 11h, et pourtant votre dos commence déjà à vous tirailler. Vous vous apercevez que vous ne vous tenez pas tout à fait droit. Vous pensez "Quel idiot ! Je vais encore me faire mal au dos."

Vous savez que vous devriez faire attention à votre posture au bureau. Ce matin, devant le miroir, vous avez remarqué une fois de plus que vos épaules et votre cou partent en avant.

Le professionnel que vous avez vu la semaine dernière vous avait bien dit qu'il fallait absolument se tenir droit. Et maintenant vous avez mal. Il a forcément raison.

Pourtant, vos efforts pour vous tenir droit comme un i ne semblent pas porter leurs fruits. Vous vous dites : "C'est foutu pour aujourd'hui".

Ce scénario ne pourrait-il pas se dérouler autrement ?

La relation tumultueuse entre "mauvaise posture" et mal de dos

Qui d'entre vous n'a jamais entendu "Tiens-toi droit ! " ou "Ne te penche pas en avant, tu vas te faire mal" ? Personne. 

Et pour cause : dès qu'il est question de mal de dos dans les médias, les "mauvaises postures" sont constamment incriminées. Notre culture joue également un rôle important dans ce processus.

Le souci ? D'abord, le lien entre posture et douleur est en réalité TRÈS obscur. On commence à peine à en entendre parler dans des médias grand public.

Ensuite, chercher à tout prix à éviter les mauvaises postures est potentiellement néfaste. C'est la raison principale de cet article, et cela constituera le point n°5.

Raison n°1 : Tout le monde ne tolère pas chaque posture de la même manière

Comment se fait-il que ce garde londonien et ces laotiens en pleine cueillette aient pu s'habituer à ces postures (prolongées) si différentes ?

Honnêtement, ni vous ni moi ne supporterions bien longtemps la posture du garde londonien. Pourtant, elle est .. parfaite, non ?

Plusieurs facteurs peuvent rendre une position plus confortable. Par exemple, être habitué à cette position. D'autres facteurs favorisent l'apparition de la douleur : si votre système nerveux est sensibilisé, ou si vous n'êtes pas habitué à adopter cette position.

Dès lors, le problème ne vient plus de la posture en elle-même, mais de la sensibilité et de la tolérance à cette posture.

Raison n°2 : La posture doit être au service de l'activité réalisée, pas l'inverse !

Je ne suis pas en train de dire que toutes les postures se valent. Il faut remettre chaque posture dans son contexte. Oui, pour une activité donnée et pour une personne donnée, il y a des postures plus intéressantes que d'autres.

Si vous êtes en train de faire un travail de précision qui nécessite de se rapprocher de l'objet en question, alors être penché en avant est adapté.

Imaginez-vous un joaillier se tenir droit comme un i pendant qu'il tient à bout de bras l'horlogerie suisse sur laquelle il travaille ? 

Mon point de vue est le suivant. Une posture peut être décrite comme mauvaise s'il existe une alternative plus confortable et efficace. Si cette alternative implique d'être relâché et en flexion, je dis amen !

La caractère "bon" ou "mauvais" d'une posture dépend de ce que vous êtes en train de faire. L'idée reçue selon laquelle la seule et unique bonne posture est de se tenir droit est erronée.

Raison n°3 : Toute posture maintenue dans le temps devient désagréable

Nous avons de bonnes raisons de penser que les douleurs sont dues au manque de mouvement plutôt qu'à la position en elle-même.

Faites-en l'expérience : tenez vous dans la position que vous jugez idéale, et restez-y.

Il y a fort à parier que vous en ayez marre au bout d'une minute, et pour cause : toute posture devient désagréable lorsqu'elle est maintenue trop longtemps. Le garde londonien ci-dessus s'en est sûrement rendu compte au début de sa carrière...  

Lorsque vous ne bougez pas pendant plusieurs minutes, certaines parties de votre corps sont moins bien oxygénées. L'acidité induite par une activité musculaire prolongée peut aussi participer.

Votre système nerveux fait remonter cette information au cerveau qui, à son tour, décide s'il faut intervenir ou pas. S'il décide qu'il faut intervenir, alors il génère de la douleur pour que vous bougiez. 

Rappelez-vous, vous êtes fait pour le mouvement !

Raison n°4 : Votre dos est SOLIDE

Oui, votre dos est SOLIDE. 

Il possède de formidables capacités d'adaptation, et peut tolérer de nombreuses postures différentes sans s'abîmer, contrairement à une croyance largement répandue.

De plus, le dos n'est pas une machine : il ne s'use pas au fur et à mesure que vous l'utilisez. Ce n'est pas une voiture dont les pièces se détériorent au fil du temps, jusqu'à la casse !

Il fait partie d'un organisme vivant hautement complexe, capable d'auto-réparation et d'adaptation.

Tout cela reste valable si vous avez une discopathie, de l'arthrose ou encore une hernie discale ! Les modèles discaux encore utilisés par de nombreux professionnels de santé NE REPRÉSENTENT PAS la réalité.

Vous n'êtes pas en train d'abîmer votre dos simplement à cause d'une "mauvaise posture". Que pouvez-vous faire pour permettre à votre corps de tolérer ces postures ?

Raison n°5 : Stigmatiser des postures comme "mauvaises" crée plus de problèmes qu'autre chose

Les messages appelant à adopter une position droite sont légion.

Il suffit de se plonger dans un magazine de santé, de se rendre à son cours de Pilates préféré ou encore de chercher des informations sur le net (quelle idée...) pour le constater. Les exercices posturaux, à base de contraction des abdominaux et de "correction de posture" se multiplient à vitesse grand V.

Quelles conséquences cela peut-il bien avoir ?

Plus de raideur

Faisons une expérience : d'abord, faites bouger votre poignet dans tous les sens.

Maintenant serrer le poing, et refaites l'expérience en gardant le poing serré. Est-ce facile, souple et confortable ? Seriez-vous capable d'utiliser vos mains de manière efficace en les gardant toujours contractées ? Bien sûr que non.

Pourtant beaucoup d'entre nous avons tendance à faire la même chose avec notre dos : rentrer le ventre, contracter les muscles du dos, ramener les épaules en arrière... Il est nettement plus agréable de bouger son dos en étant détendu !

Plus d'inconfort

Rester dans une même position de façon prolongée est désagréable. Cela peut devenir carrément douloureux si vous tentez de rester "droit" coûte que coûte, dans une situation où vous seriez naturellement penché.

Lorsque vous gardez les muscles de votre dos contractés longtemps, ils finissent par manquer d'oxygène. Ils le signalent au cerveau, qui vous le fera comprendre à sa manière. Il créera une sensation d'inconfort, pour que vous changiez quelque chose à la situation.

Plus de frustration

Votre posture actuelle est le fruit de nombreuses années de vie, d'activité, d'adaptation, etc.. Il est par conséquent très difficile de la changer !

Un travail de longue haleine, avec des effets indésirables importants, pour une récompense très, très incertaine.. Cela vaut-il le coup d'essayer ? Le débat reste ouvert, personne ne détient la réponse à cette question !

Plus de douleur

Les croyances influencent énormément la douleur. Si vous êtes convaincus qu'être assis est mauvais pour votre dos, alors il est probable que vous ressentiez de la douleur lorsque vous êtes dans cette position.

Les messages diffusés massivement dans les médias et dans votre entourage ("Il ne faut pas se tenir penché", "Vous risquez d'abîmer votre dos",...) ont en fait un effet nocebo (l'inverse de l'effet placebo) !  Dans un contexte de lombalgie ou de cervicalgie chronique, les croyances sont parfois un facteur prépondérant dans la genèse de la douleur.

Avoir peur de se pencher ou d'être assis de manière "avachie" aggrave le problème.

Raison n°6 : Votre posture est personnelle

Votre posture n'est pas qu'une question d'articulations, de muscles et de tendons.

Elle reflète qui vous êtes. Vous, votre personnalité, vos émotions, votre état d'esprit, votre histoire, votre relation avec les autres.

Elle change au cours de votre journée en fonction de nombreux facteurs.

Elle communique des traits de personnalité tels que l'ouverture, la soumission, la confiance, et bien d'autres encore.

Il y a 50 ans, nous n'avions pas les mêmes connaissances qu'aujourd'hui.

Mais en 2019 ? Qui peut encore se permettre d'affirmer qu'il faut éviter certaines postures ? Qui peut oser affirmer que tout le monde doit se tenir de la même manière ? Arrêtons les conneries.

Raison n°7 : Les études sur le lien entre posture et mal de dos sont TRÈS mitigées

Si le lien de causalité entre les "mauvaises postures" et le mal de dos était si évident, il devrait apparaître très clairement dans les études , n'est-ce pas ?

Beaucoup d'études ont évalué le lien entre plusieurs variables et le mal de dos : une inégalité de longueur des jambes, une bascule de bassin, une hyperlordose, des tensions musculaires, etc. Le résultat ? Pas de lien de causalité entre ces choses et le mal de dos. (Schmidt et al., 2017, Laird et al., 2016; Laird, Gilbert, Kent, & Keating, 2014; Lederman, 2010)

La "mauvaise posture" est-elle responsable des maux de dos chez les travailleurs ? Tout porte à croire que non. Il existe de fortes preuves que les "mauvaises postures" au travail ne sont pas responsables de maux de dos (Roffey & al 2016).  On retrouve même que les gens qui n'ont pas mal au dos sont plus souvent avachis ! (Claus & al 2016)

Parmi les facteurs qui prédisent mieux l'apparition et la persistance de la douleur, on retrouve des facteurs psychosociaux tels que les attentes de la personne (positives ou négatives) et les comportements d'évitement (éviter de faire un mouvement ou d'adopter certaines positions). 

J'ai menti dans le sous-titre de cette partie. Les études ne sont pas mitigées, elles sont claires. Nous nous trompons de cible. Arrêtons de persuader tout le monde qu'avoir les épaules enroulées est une maladie grave, alors c'est l'une des choses qui n'a pas besoin de changer.

Raison n°8 : Il existe plein d'autres raisons de se tenir droit que pour le mal de dos

La respiration

Se tenir relativement droit permet une meilleure amplitude thoracique et une mécanique diaphragmatique optimale.

L'esthétique

Nous voulons tous avoir l'air plus grands, plus dignes, plus minces... C'est aussi pour cela que nous cherchons sans arrêt à nous grandir. L'image du bossu de Notre-Dame fait rarement rêver.

Les relations sociales

Certaines professions, par exemple, nécessitent de s'affirmer en tant que personne. Cela passe nécessairement par la posture. Imaginez-vous un patron donner des directives en étant voûté et en regardant vers le sol ? Ou un négociateur qui arrive dans la salle tout penaud en détournant le regard ?

Les émotions

Chose étonnante, la posture dans laquelle vous vous trouvez influence les émotions que vous ressentez. Adopter une posture fermée et voûtée augmentera plutôt votre stress et vos émotions négatives, tandis qu'une posture ouverte, détendue et redressé aura l'effet inverse. Cet effet semble toutefois être assez léger, et la qualité des études a été fortement critiquée par d'autres auteurs.

À ce sujet, vous pouvez regarder ce TED Talk . Il est raisonnable de penser qu'une diminution temporaire du stress peut permettre à son tour de diminuer temporairement la douleur.

Alors cela vaut le coup d'essayer : arborez une posture fière et souriez à la vie !

BOUGEZ !

La sédentarité est certainement beaucoup plus problématique que la posture. Contrairement à la posture, nous savons que la sédentarité influence négativement le corps à tous les niveaux ET la douleur. 

Alternez les postures, bougez, détendez-vous, respirez, dormez (pas au travail) et ayez confiance en votre corps.

Sources supplémentaires

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6 commentaires

Chevalier Pierre Marie · 5 décembre 2022 à 4:51 pm

Se tenir droit est indispensable après une arthrodèse, au moins pendant 3 à6 mois, non?

    Eric Bouthier · 6 décembre 2022 à 5:44 pm

    Après une chirurgie de la colonne vertébrale, il y a effectivement des consignes post-opératoires à suivre. Comme il existe un temps de cicatrisation et de consolidation osseuse, toutes les positions ne sont pas autorisées comme vous le dites. Cet article ne couvre pas ce cas de figure, je devrais peut-être le mentionner en effet. Merci à vous !

Myriam · 5 décembre 2022 à 9:21 am

Merci pour vos conseils !
Il me semble que la meilleure posture doit être antalgique avant tout.

    Eric Bouthier · 6 décembre 2022 à 5:49 pm

    Merci pour votre commentaire !
    C’est important de trouver des postures confortables et efficaces pour mener à bien notre activité (ou juste se détendre, si c’est du repos). Beaucoup trop de personnes se forcent à rester droites comme un i, alors qu’elles se sentent bien mieux détendues.

    Pour aller plus loin, on pourrait mettre en garde contre le fait de rester uniquement dans une position antalgique, et de ne plus s’exposer aux positions plus désagréables 🙂 . Il faudrait alors faire la différence entre « adopter une position agréable » et « éviter ce qui est inconfortable ». À méditer 🙂

MENDES · 27 mai 2021 à 9:12 am

Thanks Eric !

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